Une réaction conservatrice contre le pape François ?

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Après le décès de Benoît XVI, le 31 décembre 2022, plusieurs vaticanistes font état d’une « fronde » de quelques cardinaux conservateurs. Ils s’appuient sur la récente parution du livre de Mgr Georg Gänswein et de celui du cardinal Gerhard Ludwig Müller, pour avancer l’hypothèse d’un « plan secret » ayant pour but de mettre le pape François sous une pression telle qu’il finira par démissionner.

Sur son blogue Corrispondenza romana du 11 janvier 2023, Roberto de Mattei cite un article de Massimo Franco dans le Corriere della Sera  du 8 janvier, intitulé Le front des traditionalistes pour s’opposer à François après l’adieu de Ratzinger :

« Parmi les principaux représentants de ce front, Franco mentionne, outre Mgr Georg Gänswein [ancien secrétaire personnel de Benoît XVI], le cardinal Gerhard Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la foi, et le nouveau président des évêques américains, Timothy Broglio. »

Mais comme le note très justement l’historien italien : « Dans le même journal, qui exprime la voix de l’establishment progressiste, Gian Guido Vecchi écrit que “dans le sous-bois de l’opposition traditionaliste à François, il y a une tentative post-mortem d’utiliser Benoît XVI comme un étendard et de créer un conflit entre les deux papes, qui en réalité n’existait pas” [Corriere della Sera, 10 janvier]. »

Pour Roberto de Mattei : « La manœuvre consiste manifestement à rendre les conservateurs responsables d’un conflit dont les principaux artisans sont [en réalité] aujourd’hui les évêques allemands, engagés dans leur “voie synodale”. »

Dans le même temps, ces vaticanistes progressistes relèvent que, même si les « anti-François » arrivaient à obtenir une renonciation, cela ne voudrait pas dire pour autant qu’ils arriveraient à placer « un homme à eux » sur le Trône de Pierre.

Massimo Franco voit surtout dans les manœuvres actuelles des conservateurs « la conscience qu’ils n’ont pas une candidature unique et forte à opposer aux progressistes ». Le fait est que depuis le début de son pontificat, jusqu’en août dernier, François a nommé 113 cardinaux, dont 83 sont électeurs, sur un total de 132.

D’autant plus que, rappelle Roberto de Mattei citant Mgr Gänswein dans son récent ouvrage (Nient’altro che la verità,  pp. 124-125) : parmi « les papabili beaucoup de ceux qui sont considérés comme des représentants plus “libéraux”, pour utiliser un terme de compréhension commune, ont été promus à des rôles importants précisément sous le pontificat de Benoît XVI.

« Parmi les noms avancés par le préfet de la Maison pontificale figurent les principaux cardinaux du front progressiste, tels que Jean-Claude Hollerich (archevêque de Luxembourg, 2011), Luis Antonio Tagle (archevêque de Manille, 2011) et Matteo Maria Zuppi (évêque auxiliaire de Rome, 2012). Le clivage entre “Ratzingeriens” et “Bergogliens” n’est donc pas si clair. Comment peut-on nier l’existence d’une confusion croissante ? »

L’héritage ambigu de Benoît XVI

Il faut bien admettre que cette confusion est entretenue par l’héritage ambigu de Benoît XVI lui-même. Comme le signale Côme de Prévigny dans Renaissance Catholique du 26 janvier, le pape défunt a développé « la thèse d’un concile trahi, dont les intentions auraient été dévoyées, qui n’aurait pas explicitement souhaité les dégâts qui s’en sont suivis et qui aurait été détourné par les médias.

« C’est la fameuse explication qu’il présenta maintes fois à Rome. Elle ne prenait sans doute pas suffisamment en compte le fait que les réformes de Vatican II ont été appliquées non pas par les journalistes mais, au sein des diocèses, par les évêques qui savaient pertinemment ce qu’ils avaient voté dans l’aula conciliaire. »

Et de toute façon, note l’historien français, sur les sujets où « le Concile a innové, comme les fins du mariage, la collégialité, la liberté religieuse, l’œcuménisme, Benoît XVI a avalisé les réformes au point de poursuivre le dialogue interreligieux, n’hésitant pas à renouveler la fameuse réunion d’Assise, pourtant jugée comme l’une des expressions les plus contestables du pontificat de son prédécesseur.

« A propos des principes fondateurs de la catholicité, il a par ailleurs justifié l’abolition des Etats catholiques, tournant le dos au principe du règne social du Christ sur les sociétés, tel qu’il était entendu depuis quinze siècles. Or c’est pourtant ce même principe des Etats chrétiens qui a permis, aux origines, de sortir de l’ère des persécutions, d’évangéliser le monde, de bâtir des clochers dans tous les villages établis sous le doux joug de la Chrétienté.

« Et c’est son abolition qui fait germer un parfum de relativisme marqué par une déchristianisation généralisée des sociétés et une désaffection galopante des églises. En maintenant les principes du Concile, il y a donc fort à craindre que leurs conséquences les plus désastreuses, telles que nous les avons constatées depuis soixante ans, continuent à faire leur œuvre au sein de l’Eglise. »

Et de conclure par deux faits irréfutables : « En demandant que le missel traditionnel soit entièrement abandonné à plus ou moins brève échéance, [et] en convoquant un synode sur la synodalité pour rendre impossible tout retour en arrière, le pontife actuel veut définitivement détruire le principe de l’herméneutique de la continuité qui a échoué le jour où Benoît XVI a renoncé [à sa charge]. »

Une herméneutique utopique

Sur l’échec de cette herméneutique ambigüe, l’abbé Claude Barthe dans Res novæ du 31 janvier, reprenant un entretien accordé à Edward Pentin pour le National Catholic Register du 9 janvier, affirme :

« Dans son discours de décembre 2005 devant la Curie romaine, Benoît XVI a expliqué, assez vaguement d’ailleurs, son projet : appliquer à Vatican II une “herméneutique de progrès dans la continuité”. Ceci pour la lex credendi.

« En outre, selon lui, un des effets de la libéralisation de l’ancienne liturgie devait être de permettre, par émulation, contact, “enrichissement”, de corriger et d’interpréter correctement la nouvelle liturgie. Là était l’utopie. Car, quelle que soit la manière dont elle est célébrée et interprétée, la nouvelle liturgie conserve ses défaillances intrinsèques, qui sont des défaillances doctrinales. »

Toutefois, dans le même temps, « Benoît XVI favorisait aussi, par le fait, la célébration de la liturgie d’avant le Concile, lex orandi  arrimée à une lex credendi  elle aussi d’avant le Concile. A son corps défendant, ou peut-être pour une part volontairement, Benoît XVI a posé une mine sous l’édifice conciliaire. »

Tel est l’héritage ambivalent de Benoît XVI, qui ne peut qu’entretenir une confusion croissante, sur laquelle on ne peut faire reposer une solide réaction à la débâcle postconciliaire. Comme l’affirme Côme de Prévigny : « Il faut désormais prier pour qu’un pape, définitivement affranchi du Concile et des enjeux qui lui sont liés, puisse écrire une nouvelle page de l’Eglise, en réaffirmant les principes éternels du catholicisme. »

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